Cameroun, 35 ans au pouvoir de Paul BIYA: Une main de fer dans un gant de velours

04 novembre 1982. L’édition du 20 heures, le journal parlé de la radiodiffusion publique camerounaise, unique média audiovisuel de l’époque, démarre avec 20mn de retard.
Quand Jean-Claude Ottou, le présentateur attitré de cette séquence assez religieusement suivie annoncera en fin le journal, c’est pour indiquer un message à la nation du chef de l’État en fonction.
« Mesdames, Messieurs, bonsoir. Un seul titre à la une ce soir, le président de la République s’adresse à la nation » fait-il retentir dans les oreilles des Camerounais. « J’ai décidé de démissionner de mes fonctions de président de la République du Cameroun. Cette démission prendra effet le 06 novembre. Je vous laisse à la tête de l’Etat, Monsieur Paul Biya » déclame le président de la République, Ahmadou Ahidjo. Malgré quelques frayeurs, le faisceau des inquiétudes et le voile d’incertitudes qui semblaient planer à l’horizon, rien de catastrophique n’est arrivé.
Ce 6 novembre 2017, ça fait exactement 35 ans que ce qui était présenté comme une succession constitutionnelle et pacifique a eu lieu. Paul Biya alors, alors Premier ministre depuis 7 à qui échoyait depuis la réforme constitutionnelle de 1977 a ainsi succédé, sans élection au premier président de la République du Cameroun Indépendant. Il est toujours aux affaires depuis tout ce temps-là. Investi à l’Assemblée nationale monolithique 2eme président, il a inauguré à ce 6 novembre 1982 ce que la communication officielle a baptisé « Renouveau national« . Présenté tel le « messie», qui venait réformer un pays marqué par un système extrêmement violent issu des lois d’exception de 1962, et modernisé l’économie afin de limiter voire éradiquer les inégalités sociales que le régime de terreur et de parti unique manquait durement, celui dont toute la carrière administrative depuis son retour de France en 1962 s’est déroulée dans les cabinets et cartes sphères de l’administration de l’État dans la capitale de l’État fédéral puis unitaire ne semble pas envisager une retraite gouvernementale ni politique. Du moins tant qu’il aura de la respiration. A voir et entendre comment il parle des projets pour l’avenir , dans un pays en pleine tourmente sociale, économique et sécuritaire et qui a annoncé qu’il accueillera l’organisation de la Can masculine de football de 2019, un an après l »echeance présidentielle prévue légalement entre octobre et novembre 2018, il n’y a que peu de doute qu’il n’entend point suivre l’exemple de son prédécesseur et mentor, Ahmadou Ahidjo.
La longue marche de ce chef de l’État Paul Biya qui, il y a 35 années, apparaissait aux yeux de beaucoup de Camerounais, comme le chef d’une magistrature éphémère, apparaît d’un certain point de vue comme un miracle qui se poursuit. D’ici l’on voit déchanter de peine, de désolation et d’indignation ceux qui, par des soucis de comparaison, s’étonnent de ce que, sans en avoir un bilan impressionnant, – la paix sociale dont se vantaient ses communicants est désormais un vieux souvenir notamment avec ce qui se vit dans les régions de l’Extrême nord sous une nébuleuse dite terroriste ainsi que les revendications autonomistes anglophones dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest exprimées dans le sang- le Renouveau et sa figure nominative Paul Biya sont bien et encore debout ces 35 ans malgré la désolation et la désespérance sociale de la très grande majorité des citoyens de ce pays, au premier rang desquels les cohortes de jeunes et désormais qui n’ont connu que son long règne.
Désolés de voir murmurer de rage et de colère, quelques nostalgiques camerounais du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, aujourd’hui déçus et désorientés ; alors qu’il y a 35 années, poitrine bombée, le délire inestimable, l’espoir conquérant, leurs aînés ont jubilé de l’accueil du nouveau président de la République Paul Biya. Explorer les secrets de cette longévité du président de la République aux affaires de l’État qu’un quotidien français du centre gauche n’a pas hésité de qualifier de « vacancier au pouvoir » il y a maintenant plus d’une dizaine d’années, n’est pas une tâche aisée. Les bénédictions, les gris-gris, les fétiches et les écorces d’invulnérabilité que le chef de l’Etat avait reçus des chefferies, des panthéons et des cases secrètes expliquent-ils comme le soutiennent certains adeptes de pratiques mystiques ? La réponse n’est pas toute faite.
Mais une chose est certaine: les analystes et observateurs rationnels l’accusent, non sans éléments concrets, d’avoir confisqué l’alternance au sommet de l’État et d’être ainsi devenu « roi » voire « totem » infranchissable d’un système politique et administratif désormais incassable du point de vue des sciences de gouvernement et de leadership politique. Paul Biya, qui use, abuse et laisse à user par ses proches de l’État notamment de ses institutions, ses hommes et ses ressources, qu’elles soient financières ou matérielles tant que ces derniers n’ont aucune ambition politique affichée a assis son éternisation au pouvoir sur un appareil politico-administratif des plus verrouillés ainsi que des instruments exceptionnels de conservation du pouvoir qu’il a mutés par la loi chaque fois qu’il perçoit un risque important Paul Biya s’est organisé ainsi à disposer des instruments et armes légales et informelles nécessaires à son maintien ad vitam aeternam. Choyée, l’armée est à sa dévotion. Verrouillée,
la justice ne contrôle que peu voire jamais ses actes. Tétanisée, l’administration est transformée en principal socle politique qui obhère toute tentative de concurrence. Quant aux médias, ils sont soumis à une pression ouverte et sybilline dont le caractère pluraliste et disert ne cache qu’à peine leur difficulté à être les instruments de la transparence de la gestion en contexte de démocratie pluraliste.
Tout ou presque lui est dû et donné. Au départ de chaque élection, que ce soit sous le parti unique ou depuis le retour contraint au multipartisme en 1991, la victoire est artificiellement fabriquée et acquise pour lui par l’implication de l’administration et de ses agents. Malgré 35 années de pouvoir, les thématiques de débats sur l’alternance donc sur un éventuel après-Biya sont comme proscrits. En tout, tout débat ou manifestation publique sur cette occurrence est durement réprimée. Ceux qui en tentent le coup sont jetés en prison sous divers motifs (détournements de deniers publics, atteinte à la sécurité de l’Etat, insurrection ou complicité et désormais, ce depuis la révolution de la rue du Burkina Faso en octobre 2014, terrorisme et/ou apologie du terrorisme.
Sa pratique de gouvernance politique faite de lubrification tient, même ses propres ministres et membres du gouvernement très éloignés de lui, le chef de l’État et unique chef de l’exécutif. Conséquence de cette gouvernance emballée dans des textes qu’il applique au vu de ses seuls intérêts de pouvoir: les conseils ministériels, pourtant prévus par la Constitution, sont quasiinexistants.
Le dernier s’est tenu il y’a un peu plus de deux ans, au lendemain de la formation de l’actuel gouvernement le 2 octobre 2015. Quelques caciques et dinosaures du régime pensent et affichent néanmoins qu’un chef âgé de 84 ans (l’âge du repos pour personnes du troisième âge ayant longtemps travaillé) est irremplaçable. De fait, ils infinent, comme dans un royaume que le Cameroun n’est pourtant pas constitutionnellement, qu’il doit s’éterniser au pouvoir tant que « les Camerounais lui font confiance par le vote »! Et surtout tant qu’il y a encore du travail à faire pour les Camerounais dont les besoins sont depuis longtemps, et dans une anarchie administrative parfois difficile à décrire par des mots justes, encore à satisfaire.
Le Messager revisite les différentes marches et les secrets de 35 années de règne d’un président de la République qui n’est pas prêt à partir de la magistrature suprême ; celui que les affidés et fervents louangeurs, présentent comme Infaillible. Lisez-plutôt !

AGA Avec Souley ONOHIOLO

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