Cameroun: Je suis camerounais, j’étais chez Um Nyobè

Je l’ai rêvé différent, je l’ai pensé atypique, mais je ne l’imaginais pas ainsi. Durant ces quatre années à pianoter sur le clavier de mon ordinateur, j’ai été à chaque fois hanté par le syndrome de la « course dans le sac ».[pagebreak] Courir dans le sac signifie qu’on fait une chose en vain. Écrire, déverser rage, fiel, miel, rire à longueur de billets est bien mais devient lassant quand après quatre années de construction d’une identité numérique et de fédération d’une communauté, on n’arrive pas à capitaliser dans le réel tout ce qu’on a acquis.

Et puis il ya eu cette date, le 13 septembre 2014. Date qui m’émeut chaque année car elle représente le jour où en 1958 Ruben Um Nyobè , homme affublé de tous les noms, mais père indiscutable de notre indépendance, a été froidement assassiné par la France, « mère-patrie » coloniale et ses alliés camerounais.

Devant ma télévision, j’ai assisté à la parade des cons, oui la danse des sorciers que les descendants de son parti ont effectué sur sa tombe. Habillés de la tenue rouge-noir souillée de leur incompréhension de ce que furent les idéaux qui ont sous-tendu la création de cette entité, ils ont réussi à se battre pour une histoire de tendance. Enfants maudits se réclamant d’un héritage dont ils ne perçoivent même pas la richesse.

Et c’est comme ça qu’entre deux tweets et sous l’effet de trois Castel, j’ai lancé l’idée d’organiser un pèlerinage à Eséka là bas sur la tombe du Mpodol, le porte-parole de tout un peuple.

Parler des blocages? Parler des moments de doute? Pourquoi? Le Cameroun est un pays de projets, un pays en projet où les gens aiment les projets quand on les présente, mais disparaissent quand on passe à la phase exécutoire.

Au delà des soucis liés à la logistique et à l’organisation, c’est l’incompréhension et cette forme larvaire d’autocensure qui caractérise mon peuple qui m’a blessé: Euye Mbom! Tu pars sur la tombe de Um Nyobè? Tu es dans l’UPC? Tu es opposant?

– Allo, Flo?
– oui mama
– Ton père vient de te voir à la télé. il paraît que tu organises un pèlerinage à Eséka.
– Ah oui. C’est vrai. Il a dit quoi.
– Rien. Il a attaché sa bouche, a croisé les bras et il s’est mis à secouer ses jambes comme le jour où il t’a fessé parce que tu avais bu son whisky.

Puis un départ le 12 octobre. Un dimanche pluvieux. La peur au ventre. Peur de l’échec. Peur de se retrouver seul sous cette véranda devant Camtel. La morsure horrible des coups de fil d’annulation à la dernière minute… Je stresse.

Mais pour rien. Car à mon arrivée au lieu d’embarquement je les trouve debout devant moi. Ils ont bravé pluie, froid, insécurité pour se retrouver à 6h30 à la Poste! Je suis tout ému devant ces silhouettes qui redonnent un peu de couleur à la grisaille matinale.

Ils sont aussi là bas à Douala un peu mois d’une dizaine mais bien présents, sous la pluie. Nous sommes une vingtaine au total à avoir confirmé les inscriptions et à répondre présent! Great!

Yaoundé c’est l’histoire d’un départ manqué à cause d’un véhicule bloqué. D’un Papy Bikanda qu’il faut attendre parce qu’ayant confondu Camtel et Camair (la bière hein?). D’un arrêt de dernière minute pour avoir oublié d’acheter les cadeaux à offrir à Mme Um, veuve du héros qui a accepté de nous recevoir. Tout se fait, vite. Ma seule crainte étant qu’une liane tombe face à moi en train de porter un sac de riz au carrefour Afan Oyoh : euye! Ngimbis donc ton travail là c’est le bambè?

Nous partons. Qui sont-ils? De jeunes gens. Pour beaucoup on ne s’est jamais rencontré, mais nous avons un point commun: les réseaux sociaux, lieu exclusif de recrutement. Des profils divers: informaticiens, juristes, étudiants, chômeurs, cinéastes, enseignant… Chacun avec une pointe d’originalité, comme Jason « le plus jeune » qui dort car sorti de boîte de nuit quelques minutes auparavant seulement.

Jonction à Boumnyébel avec ceux de Douala.
Après 40 kilomètres d’une route riche en nids de poule nous arrivons en cortège à Eséka. Ville-village, vide, c’est dimanche tout le monde est allé prier. Direction le cimetière de la Mission.
La tension monte, mêlée d’excitation, On veut y être rapidement. Puis le choc: le cimetière est un champ non entretenu, des herbes hautes, des tombes défoncées.

Tout serait recouvert si les upécistes n’avaient pas débroussaillé un espace autour de la tombe lors de leur passage. Nous découvrons les lieux avec stupeur. La tombe est là sous un arbre. Muette, solitaire, grise dans le vert environnant. Sur le coup, je wanda!
Nous n’avons rien prévu mais les choses s’enchaînent naturellement. Bergeline notre guide parle. Puis Ulrich, le jeune historien prend la parole. Quelque chose le pousse on le sent. Il parle et déroule sous nos regards la fresque complexe de cette histoire oubliée, peu connue, galvaudée. L’histoire d’un homme, d’une cause. Les visages se crispent quand il évoque l’épisode du corps de Um Nyobè traîné à l’arrière d’un véhicule de Boumnyébel à Eséka et ainsi défiguré.
Puis, un à un chacun se sent obligé de parler. De remercier le mort, de demander pardon, d’avouer son ignorance, de s’indigner. Ce sont les coeurs qui parlent.

Mais je ne perds pas le Nord hein? Mes radars kongossiques ont tôt fait de détecter des présences: nous ne sommes pas seuls. Depuis quelques minutes, des rôdeurs nous observent et certains pianotent sur leur téléphone. Cinq minutes plus tard, un officiel débarque. Chemise rentrée dans le pantalon façon sapeur congolais. Il est flanqué d’un type qui d’après sa carrure doit être son tchinda plutôt que son garde du corps: nous sommes face à Monsieur l’adjoint au Maire. Les pèlerins eux continuent de s’exprimer, immortalisés par la caméra de l’équipe du cinéaste Rostand Wandja.
Je chuchote à l’oreille de Bergeline: va lui parler stp!

Pourquoi tu m’envoies?
Pour deux raisons: 1- tu es une femme, avantage psychologique. 2- tu as dit dans le car que ton petit nom c’est Kabila non? Va alors faire la rébellion là bas.

ça discute. Il est question d’autorisations, de « se signaler » blablabla. Foutaises! (je l’ai juste pensé hein?)  Nous sommes dans un cimetière et Um Nyobè n’est la propriété de personne, sinon de son pays. On rappelle l’altercation du 13 septembre. Dans l’herbe git une seconde gerbe, écrasée. La gerbe des perdants.
Mais bon Bergeline calme le jeu et sort la phrase magique: « ce sont des étudiants, ils ne font pas la politique ». Sourires de part et d’autre. Ah! mais c’est bien! Tout le monde se détend.

Plus d’une heure plus tard, On clôt la visite par la photo de famille. Un dernier regard à la tombe et on dit au revoir au Mpodol, immobile dans son linceul de béton gris.
Escale au carrefour suivant. Devant le monument à la gloire du Mpodol. Monument représentant sa descente à la gare d’Eséka en 1952 de retour du sommet de l’ONU où il défendit avec force la cause de son Kamerun. Monument de la discorde aussi et symbole de la récupération de l’image de Um Nyobè. Ce qui m’intéresse ce n’est pas le monument, mais les gens. Ils nous regardent étrangement, semblant se demander ce que nous faisons là. Des passant ralentissent, des vendeurs sortent sur le pas des boutiques, un type à moto lance « Um Nyobè va griller vos appareils là! » Sa phrase se perd dans le vent de l’accélération…
Retour à Boumnyébel chez Mme Um où nous avons prévu d’organiser le déjeuner. Là encore le choc. Au lieu d’une vieille décatie et impotente, c’est une mbombo debout sur ses deux jambes qui s’avance vers nous. Une mbombo qui nous souhaite un « malo malam » chaleureux. On expédie la remise des cadeaux, il ne s’agit pas d’un don, donc, pas de clic clac misérabilistes.

Son salon, austère. On veut qu’elle nous parle de l’homme qui fut son mari. Elle, veut savoir pourquoi nous sommes là. On lui explique que nous sommes en quête de réponses, en quête de compréhension et que nous avons initié un tour des lieux symboles de l’histoire de notre pays. Qu’on a commencé par son époux, car il le vaut bien.
Causerie. Gaëlle Tjat, Samuel Iyabi et papy Bikanda sont les interprètes improvisés. Les questions fusent. Elle nous parle de l’Homme à travers elle. Obligé d’intervenir. ça va trop loin et certaines réponses tordent son visage de souffrance comme au jour où elle a vécu les faits. « Le maquis ne se raconte pas mes enfants, il se vit ». Nous ne sommes pas venus faire du voyeurisme. On temporise.

Repas. Au milieu de la table du festin, un okok légendaire. L’okok bassa’a, l’okok des origines (chauvinisme culinaire hihihihi!)

Photo de famille. Elle serre les deux mains de chacun à tour de rôle: « ma porte vous est toujours ouverte mes enfants ».
Nous repartons, sous le magnifique soleil qui ne parvient pas à rendre belle cette bourgade dont le développement semble s’être arrêté des décennies auparavant. … LIRE LA SUITE DE L’ARTICLE SUR KONGOSSA.MONDOBLOG.ORG

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