Éthiopie – Sommets de l’union Africaine : Les prostituées font de bonnes affaires à Addis-Abeba

Union africaine

Les habitués des quartiers chauds de la capitale éthiopienne avouent éprouver des difficultés à se servir lors de ces réunions internationales.
C’est une véritable déferlante de mâles à Addis-Abeba chaque fois que l’Union africaine (UA) organise les sommets des chefs d’Etat. On y trouve de tout mais surtout des diplomates étrangers briefés par leurs collègues en poste dans la capitale éthiopienne sur « la générosité » des Ethiopiennes. Pas seulement. Des journalistes aux membres des délégations des chefs d’Etat, tout le monde se sert dans la rue. Et à prix fort. Et les Ethiopiennes savent bien mener leur business et faire casquer les pingres qui, face à la beauté « satanique » locale, se laissent soulager de plusieurs Birrs (monnaie locale dont l’unité vaut environ 20 FCFA, ndlr).
Les prix, en fonction des services rendus, ne sont jamais en deçà de 300 Birrs, soit 6 000 FCFA, le prix le plus élevé en basse période où Megdès, une jeune fille-mère, avoue avoir souvent accepté de prendre 50 Birrs « parce qu’il faut que ma fille mange ». Un jeune diplomate en poste à l’UA avoue que, « la nuit tombée, j’arpente les quartiers d’Addis-Abeba au volant de mon véhicule de service à la chasse d’une proie ». Et elles sont là ces jeunes filles dont l’âge n’excède pas souvent 25 ans. Cheveux frisés relevés en chignon, du rose sur les lèvres, mini-jupes plaquées sur une anatomie généreuse, les Ethiopiennes sont nombreuses la nuit. Elles viennent souvent de la campagne et fuient l’extrême pauvreté qui touche un tiers de la population éthiopienne, et ce malgré des chiffres de croissance de près de 10 % par an. Elles se cachent dans la pénombre des cases en tôle du quartier sulfureux de Tchitchinya, et attendent le client à la lueur de guirlandes multicolores. D’autres patientent dans ce qui leur sert de maison, et peuvent avoir jusqu’à vingt rapports s*e*xuels par jour. « Il arrive qu’une fille satisfasse tous les clients d’un guest house, aidée en cela par le réceptionniste qui, en bon proxénète, s’enrichit sur le dos de celles qui font le gros du boulot. Qu’importe, surtout lors des réunions internationales et autres sommets qui drainent leur lot d’hommes en costume-cravate en quête d’«exotisme abyssin », elles se font beaucoup d’argent. Et aiment les étrangers « parce qu’ils payent au moins le double et nous offrent des cadeaux tels que des téléphones et parfois des ordinateurs », avoue Bittania, une jeune fille qui, pour payer ses études universitaires, se livre à cette activité.

A côté de ces jeunes filles, on a les prostituées de luxe. On les trouve dans des hôtels chics de la capitale (Sheraton, Intercontinental, Radisson). Contactées par des proxénètes, qui les recrutent souvent à la sortie de l’école, elles attendent le client riche, le diplomate. La rumeur publique ironise ainsi sur l’appétit des membres de certaines délégations pour ces « business ladies ». Elles étaient particulièrement du goût de certains dignitaires sud-soudanais-rebelles et membres du gouvernement confondus – présents à Addis-Abeba durant des mois en 2015 pour assister aux pourparlers de paix qui n’ont pas mis fin à la guerre.

MASSAGE
En dehors de la rue et des hôtels, lors des sommets et autres réunions de haut niveau de l’UA, on observe également une inflation dans les salons de massage. « C’est l’une des premières prestations qu’on propose à l’étranger lorsqu’il arrive à Addis-Abeba, affirme un jeune fonctionnaire de l’UA. Sous prétexte que vous êtes fatigués et que vous méritez bien un bon remontant. » Là aussi, les prix passent du simple au quintuple et se négocient en dollars américains. « Si vous êtes partant, je vous fais venir une très jeune fille qui va faire disparaître la fatigue du voyage pour 100 dollars », avance Esarias, un chauffeur de taxi qui exerce au Bole (lire Bolé) International Airport d’Addis- Abeba.
Dans le secteur de la prostitution, les salons de strip-tease sont très prisés lors des grandes rencontres africaines. « Il y a généralement deux salons. Dans l’un, vous ne pouvez que regarder les jeunes filles danser avec des tenues aguichantes sans se déshabiller complètement. Ici, vous pouvez leur donner un pourboire selon votre bon vouloir. Dans l’autre salon, vous avez droit à l’exhibition de cinq jeunes filles toutes nues et à des attouchements de chacune d’elles. Après une heure et, comme avec le massage, ça se termine toujours à l’avantage des deux parties, l’une perdant 250 dollars au passage », explique un jeune homme d’affaires. Qui avoue être un habitué de ces coins. Même s’il est souvent victime de la hausse des prix lors des sommets de l’UA.
« Ces rassemblements sont une bonne période pour les affaires de ces femmes », confirme au journal Le Monde Yetenayet Andarge, l’une des coordinatrices de l’association locale Elillta Women at Risk (E-WAR), qui lutte contre la prostitution. Elles savent qu’elles gagneront plus et n’hésitent pas à augmenter leur prix à cette période. Mais encore faut-il se cacher des agents de police qui peuvent les chasser de la rue et les jeter en prison pour une nuit, comme l’ont confié plusieurs d’entre elles. Pour maintenir la sécurité en vue d’un tel événement, d’après les forces de l’ordre. « Pour ne pas salir l’image du pays », ironise un travailleur social qui requiert l’anonymat.

MAL PERÇUES
En Ethiopie, la prostitution n’est pas interdite, mais l’usage de la force, la « transmission volontaire » du virus du sida et le harcèlement sont punissables par la loi. Les prostituées sont très mal perçues dans une société éthiopienne très pieuse. Elles peuvent « subir des abus, ne pas être rémunérées après l’acte, être battues ou violées en bande », déplore Yetenayet Andarge. Les étrangers, eux, leur demandent parfois des services « contre nature » que certaines refusent. D’autres acceptent mais réclament beaucoup d’argent.
L’association E-WAR a sorti plus d’un millier de femmes de la prostitution en vingt ans d’existence. Une fois prises en charge, les filles ont l’interdiction de retourner dans la rue. En contrepartie, elles reçoivent environ 15 000 FCFA, grâce à des donateurs canadiens, britanniques, américains car EWAR ne reçoit aucune subvention de la part du gouvernement. « Avec cette somme, il y a des femmes que nous ne pouvons pas atteindre », soupire Yetenayet Andarge.

L’INACTION DU GOUVERNEMENT ÉTHIOPIEN
Dans son rapport, le département d’Etat américain dénonce l’inaction du gouvernement éthiopien face à l’exploitation s*e*xuelle. Au Bureau des femmes, de l’enfance et de la jeunesse de la ville d’Addis- Abeba, la directrice Alemtsehay Elias Berega réfute l’accusation. « Nous avons réduit le nombre de prostituées », dit-elle en évoquant la sensibilisation à longueur d’année et la volonté d’autonomiser économiquement ces femmes. Mais elle ne dispose d’aucun chiffre pour étayer ses propos.
Ici, les associations de lutte contre la prostitution se comptent sur les doigts de la main, et ne disposent pas d’assez de ressources. En Ethiopie, le champ d’action des associations caritatives est restreint : en 2009, le Parlement a adopté une loi limitant leurs financements extérieurs. Un moyen de mieux contrôler les ONG. Mais aussi une mesure dissuasive pour les travailleurs humanitaires, selon les organisations de défense des droits humains. « Si aucun effort n’est fait, il n’y a aucune garantie que nous ne devenions pas la capitale africaine des prostituées », conclut un travailleur social, qui souhaite garder l’anonymat.

Bernard Bangda

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *