Croire au Père Noël, oui, mais jusqu'à quel âge ?

« J’ai vu le Père Noël en ville ce week-end », s’exclame un petit garçon dans sa classe. « Il n’existe pas! » lui rétorque l’un de ses camarades. « C’est ma mère qui me l’a dit. » Et patatras, un rêve de brisé. Cette scène, que nous raconte Carole, est courante. Chaque année, en CE1, c’est la guerre. Cette professeure des écoles depuis 16 ans ne veut pas « casser le rêve des enfants ». Elle leur dit donc qu’elle croit, elle aussi, au Père Noël. C’est aux parents de gérer cette légende, pas aux professeurs. Mais voici la question cruciale: quel est le bon moment pour annoncer cette cruelle vérité aux enfants?

La limite: environ 8 ans

L’avis des experts est quasi unanime: s’il faut établir une limite, elle serait située aux alentours de 8 ans. Mais pas de panique si l’enfant continue à y croire jusqu’à la fin de l’école primaire: pour ces psychologues et psychiatres, il n’y a pas vraiment d’âge idéal pour annoncer la breaking news. Pour Hélène Romano, que le HuffPost a contactée, « l’âge n’est pas la vraie question. Il faut plutôt se demander quelle est la valeur du Père Noël dans l’imaginaire ». Pour elle, tout dépend de la façon dont les parents se sentent vis-à-vis de ce qu’elle appelle un « mensonge prosocial ». Tant qu’ils sont en accord avec leurs propos, et qu’ils le vivent bien, cette psychologue ne voit pas pourquoi ils mettraient fin à la croyance de l’enfant. Ce n’est que s’ils voient le Père Noël comme un énorme mensonge que leur progéniture risque de mal le vivre. Dominique Tourres-Gobert, psychiatre et psychanalyste, auteure d’Il était une fois le bon dieu, le Père Noël et les fées (Albin Michel, 1992) rejoint cet avis, bien qu’il soit un peu plus tranché: « Il n’existe pas d’âge idéal. Les enfants doivent suivre les questions que se posent les autres enfants. A un moment donné certaines croyances ne sont plus crédibles. Certains enfants sont très logiques à 5 ans, ils s’interrogent sur le fait que le Père Noël ne peut pas être présent partout à tous les endroits du monde. D’autres aiment ces croyances et souhaitent y croire plus longtemps. Il faut suivre la volonté de l’enfant. Cependant la croyance du Père Noël ne doit pas excéder l’âge de 8 ans. » explique-t-elle à Atlantico. Même son de cloche chez Béatrice Copper-Royer, psychologue spécialisée dans la clinique de l’enfant et de l’adolescent, qui répond à la question de l’âge limite à Francetvinfo: « Jusqu’à huit ans, grand maximum. L’âge moyen est autour de six ou sept ans. Les enfants commencent dès le CP-CE1 à être rationnels et à raisonner. Ils sortent de la petite enfance, où l’imaginaire est tout-puissant et où les choses les plus extraordinaires sont possibles: pour eux, les fées, les dragons et le Père Noël sont bien réels. Mais après cet âge, ils commencent à distinguer l’imaginaire de la réalité. » Les enfants commencent à se poser des questions vers 6 ou 7 ans, et il faudrait donc leur dire la vérité sans trop tarder à partir de 8 ans. Cette moyenne d’âge, Thierry Delcourt, que le HuffPost a contacté, la réfute. Selon ce psychiatre, c’est bien trop tard. Il estime que les enfants peuvent longtemps rester dans l’illusion, mais que cela les empêche de se confronter au monde. La sentence est lourde: à l’en croire, il faudrait, dès les 4 ou 5 ans, sortir les enfants de leur torpeur imaginaire.

La limite? L’âge de raison

Quoi qu’il en soit, il faut comprendre que cet âge limite, que nous situons aux alentours de 8 ans, correspond à ce qui succède à « l’âge de raison ». L’avis des experts, finalement, colle à une réalité bien naturelle: vers 7 ans, les enfants arrêtent d’y croire. Pas seulement au Père Noël, mais à tous les mythes et légendes qui ont constitué les plus beaux moments de leur enfance. « Même si mes élèves de CM1 ne croient plus au Père Noël, ils aiment encore le dessiner, le colorier », nous confie Brigitte, professeur depuis 29 ans et mère de trois garçons. Et d’ailleurs, les rares enfants qui n’ont pas cessé d’y croire sont « considérés comme des bébés ». Sans moqueries pour autant. « A 6 ans, les enfants sont dans une phase imaginaire, à 7, dans une phase dite opératoire », indique au HuffPost Angélique Kosinksi Cimelière, psychologue clinicienne pour enfants et adolescents. C’est pourquoi il est rare que la croyance se prolonge au-delà. » L’âge de raison. Si cette expression peut sembler un peu désuète, c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. « C’est l’âge auquel on commence à raisonner ‘comme un grand’, explique Hélène Romano. Cognitivement parlant, on devient mûr. C’est par exemple à ce moment-là qu’on commence à faire la distinction entre la vie et la mort. » Ainsi, quant à la limite de 4-5 ans considérée par Thierry Delcourt, tout s’explique. C’est pour lui l’âge de raison. Par rapport aux années précédentes, les enfants auraient évolué: ils ne reçoivent plus de matériau éducatif tel quel, sans le contester. Dès 4 ans, ils ne croient plus au Père Noël. Enfin, « ils croient au Père Noël commercial, c’est-à-dire celui qui va satisfaire tout ce qui est écrit sur leur liste de cadeaux », dit-il.

Un rite initiatique

Que retenir de tous ces propos? Devez-vous, parce que votre dernier a 9 ans et y croit encore dur comme fer, lui déballer toute la vérité, cadeaux, cheminée, traîneau, pôle nord et compagnie? Pas forcément. Si pour Thierry Delcourt, cette croyance n’est « pas du tout indispensable », pour les autres psychiatres ou psychologues interrogés, le vieux barbu au bonnet rouge est très important pour le développement général de l’enfant. « C’est un tremplin pour grandir, une étape vers le monde des adultes », explique Angélique Kosinksi Cimelière. Bien plus encore, pour Hélène Romano, « l’enfant a besoin de rêver à quelque chose de magique. Il n’a pas besoin, en revanche, de savoir à quel point le monde est atroce. C’est bon pour lui de croire qu’un monde protecteur peut exister. » Finalement, comme l’expliquait la psychiatre, tant que les parents ne font pas du Père Noël un atroce mensonge, pourquoi mettre un terme au conte de fées? Brigitte a très mal vécu l’annonce de la vérité à son aîné, un ado de 16 ans aujourd’hui. Pour lui, « tout s’écroulait, la saveur du mystère, la magie de l’attente, l’impatience de la découverte ». Son benjamin est en CM1, a 9 ans, et vient d’écrire sa lettre au Père Noël. Le monde des grands, il n’a pas l’air pressé de le rejoindre, bien qu’il ait posé la « question fatidique » à sa maman, qui n’a pas eu « le courage, ni la volonté de lui dire la vérité. Je me complais dans cette atmosphère », nous dit-elle. Tous deux sont très certainement lucides mais aiment entretenir ce « doux mensonge ». Si la magie est au rendez-vous, pourquoi changer les choses?

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