Le FMI facilite une arnaque au Cameroun et se venge contre un lanceur d’alerte (Article complet)

Sous DSK, le Fonds monétaire international a autorisé un projet de mine au Cameroun, qui n’a jamais vu le jour. Depuis, l’institution, désormais présidée par Christine Lagarde, s’échine à enterrer l’affaire en menaçant un de ses anciens employés qui avait alerté à propos des risques liés à ce projet.[pagebreak]Si Christine Lagarde ne connaissait pas Geovic Mining Corp. lorsqu’elle a pris la tête du FMI, en 2011, la situation a dû bien changer depuis : cette petite compagnie minière américaine est devenue un caillou dans sa chaussure depuis qu’elle est soupçonnée d’avoir détourné des fonds publics camerounais, avec la caution du FMI. Ces derniers mois, les procédures judiciaires se multiplient contre elle. Dernière action en date : le tribunal criminel spécial (TCS) du Cameroun, une structure qui traite les dossiers de détournement de deniers publics, vient de lancer une enquête. Il a six mois pour déterminer ce qui s’est passé.
L’affaire est déjà connue dans les grandes lignes (voir notre article ici) : en 2008, le gouvernement du Cameroun a demandé au FMI l’autorisation d’investir dans un projet d’exploitation d’une mine de cobalt-nickel à Nkamouna, dans l’est du pays. L’objectif officiel était d’accélérer la mise en production du gisement, dont Geovic Mining Corp. détenait depuis 2003 les droits d’exploitation, pour 25 ans renouvelables, à travers sa filiale camerounaise, Geovic Cameroon (Geocam). Sous « ajustement structurel », le Cameroun avait impérativement besoin de l’assentiment du FMI pour réaliser cet investissement. Le FMI, alors dirigé par Dominique Strauss-Kahn, a donné son accord. Soixante millions de dollars, prélevés sur des fonds destinés à la « lutte contre la pauvreté », sont allés dans les caisses de Geocam, détenue à 39,5 % par l’État du Cameroun – dont 20 % au portage pour quatre individus mal identifiés.

Pourtant, l’opération s’annonçait très risquée : Geovic Mining Corp. n’avait aucune expérience dans l’exploitation minière, pas d’argent, pas de plan de financement viable et présentait une gestion douteuse. En 2005, un actionnaire de Geocam évoquait ainsi, dans une correspondance adressée à un haut responsable camerounais, de « faux bilans financiers », dressés par l’entreprise. De plus, le projet d’exploitation menaçait le parc national voisin du Dja, classé au patrimoine mondial par l’Unesco.

Mais Geovic Mining Corp., immatriculée dans les paradis fiscaux de l’État de Delaware aux États-Unis et des îles Caïmans, était fortement soutenue par l’ambassade des États-Unis à Yaoundé et avait de nombreuses connexions au sein de la classe dirigeante du Cameroun et d’ailleurs. Lorsque le Cameroun a demandé au FMI la permission d’investir dans le projet de Nkamouna, le ministre de l’économie, Lazare Essimi Menye, était d’ailleurs un ancien employé de l’institution financière internationale.

Ce qui devait arriver arriva : le gisement de Nkamouna n’a jamais connu la moindre mise en production. Les 60 millions de dollars débloqués par le Cameroun ont été dilapidés par les responsables de Geovic Mining Corp., ont alimenté leurs comptes bancaires aux îles Caïmans et leur ont vraisemblablement servi à acquérir de nouveaux droits miniers en Nouvelle-Calédonie.
Au fil des années, la situation financière de Geovic Mining Corp. s’est fortement dégradée. Au point qu’elle a été exclue de la bourse de Toronto en juin 2014. Le prix de son action dans le compartiment hors cote de la bourse de New York s’est quant à lui effondré : le 8 décembre 2014, il se négociait à 0,0081 dollar. Un dossier a été déposé auprès de la commission boursière américaine pour qu’une enquête soit ouverte sur les pratiques de l’entreprise : elle a pour le moins trompé ses actionnaires en faisant croire qu’elle allait exploiter la mine de Nkamouna.

Fin 2013, Geovic Mining Corp. annonçait avoir revendu ses parts (60,5 %) de Geocam à une société chinoise, Jiangxi Rare Metals Tungsten Holdings Group Company Ltd (JXTC). Mais la presse camerounaise rapportait, début décembre 2014, que le projet avait échoué : le partenaire chinois n’aurait pas respecté les conditions posées par l’État camerounais. « Ce dernier épisode n’est que le énième d’un long feuilleton fait de promesses non tenues et d’annonces juteuses, qui, depuis onze ans, entretiennent le rêve de plus en plus lointain de voir le projet de Nkamouna finalement prendre corps », a commenté Ecofin, un site d’informations camerounais.

Au Cameroun, la fin du projet de Geovic Mining Corp. est évidente pour tout le monde. « Les engins qu’elle a acquis vont être réexportés vers les États-Unis : c’est vraiment la confirmation de son départ », explique un ancien employé de Geocam. Le site internet de Geovic Mining Corp. aux États-Unis ne fonctionne plus, lui, depuis plusieurs jours.
Le FMI n’a pas apprécié de se retrouver devant un tribunal

Geovic Mining Corp., un modèle d’escroquerie internationale ? C’est ce que pensent tous ceux qui se sont penchés sur l’affaire. En 2013, la Banque africaine de développement (BAD) a ainsi refusé de lui accorder un financement de 170 millions de dollars : une ONG américaine réputée, Government Accountability Project (GAP), avait prévenu les dirigeants de l’institution panafricaine des risques de corruption.

Seul le FMI semble voir les choses différemment. En avril 2013, il a expliqué à Mediapart que les « allégations » de corruption « étaient sans fondement ». Christine Lagarde n’a, par contre, jamais répondu à un collectif d’ONG d’Afrique centrale, de Belgique et des États-Unis qui lui a écrit, fin 2013, espérant avoir des explications. « Le FMI était-il en mesure de fournir au Cameroun des informations susceptibles d’éclairer sa décision, voire éventuellement de ne pas procéder au paiement sollicité par Geovic ? » demandaient ces ONG dans leur courrier. Elles posaient aussi la question de savoir s’il existe des mécanismes pouvant aider le Cameroun à « récupérer les sommes indûment versées à la société Geovic ». Silence radio, donc, de la part de Lagarde et du FMI. La déclaration de la directrice générale de l’institution faite à Maputo, au Mozambique, en mai 2014, résonne pour le coup un peu étrangement : elle avait plaidé pour plus de « transparence » et une meilleure gestion des ressources dans le secteur des industries extractives…
Pour l’instant, le FMI a évité que le scandale ne l’éclabousse : il a réussi à faire échec à une première plainte, déposée en 2012 aux États-Unis, contre lui par un de ses anciens employés, Eugène Nyambal. Ce dernier, conseiller principal de l’administrateur du FMI pour l’Afrique, a été limogé en 2009 et accuse depuis le Fonds de s’être débarrassé de lui à cause de ses critiques du projet Geovic Mining Corp. au Cameroun.

L’institution financière a eu chaud : alors qu’elle s’est prévalue, pour échapper à cette plainte, de l’immunité absolue dont elle jouit normalement, le tribunal fédéral du district de Columbia a donné l’autorisation de contester cette protection. Mais, fin novembre 2014, la cour fédérale d’appel est revenue sur cette décision : l’immunité du FMI reste valable, a-t-elle jugé. L’affaire n’est cependant pas terminée : Eugène Nyambal prévoit de porter l’affaire devant la Cour suprême des États-Unis.

Cette partie de l’histoire s’est aussi compliquée : le FMI n’a visiblement pas apprécié de se retrouver devant un tribunal et a pris des mesures de représailles contre Nyambal. Peu après le premier jugement du tribunal de Columbia, en juillet 2013, l’économiste s’est en effet rendu compte qu’il avait été placé sur une « Do Not Admit List », une liste noire, par la Banque mondiale cette fois. À deux reprises, il s’est vu refuser l’accès à son siège, à Washington, alors qu’il travaille régulièrement comme consultant pour elle. La liste « Do Not Admit » est normalement réservée aux personnes présentant un risque sécuritaire pour la Banque mondiale et son personnel. La mesure a été appliquée par Allied Barton, une compagnie de sécurité qui travaille pour la Banque mondiale et… le FMI. Il a fallu du temps pour que les responsables de la Banque mondiale reconnaissent avoir blacklisté Nyambal à la demande du FMI. En juillet 2014, le vice-président de la Banque chargé de la gestion des ressources humaines a adressé à Nyambal une lettre d’excuses, lui proposant un dédommagement financier. Le 8 décembre, la Banque lui a finalement permis d’accéder de nouveau librement à ses locaux. Le Government Accountability Project, qui défend les lanceurs d’alerte, a conclu à propos de cet épisode : « Le FMI et la Banque mondiale continuent de confondre immunité légale et impunité. »

Silence, de nouveau, de la part du FMI et de Lagarde : ils n’ont pas répondu aux demandes d’explication de Nyambal sur cette « Do Not Admit List ». Résultat, il a déposé une deuxième plainte contre le FMI, cette fois auprès du ministère américain de la justice, pour « représailles, discrimination et violations » de ses droits. « En m’inscrivant sur la liste noire d’autres organisations internationales sans notification préalable ni motif et en me soumettant publiquement à l’humiliation, le FMI a violé ses propres règles ainsi que les lois américaines », déplore-t-il. Interrogé par Mediapart sur cette nouvelle affaire, le FMI s’est contenté de répondre : « En matière de sécurité, nous ne discutons pas des procédures d’accès aux bâtiments. » Dans la foulée, Nyambal a aussi porté plainte contre la société de sécurité Allied Barton pour « conspiration, diffamation, interférence dans les relations commerciales et inflictions de dommages émotionnels relatifs à son blacklisting et aux répercussions sur sa réputation et sa carrière ». Depuis ce litige, Nyambal a de plus en plus de mal à travailler : les « contrats de consultance » sont devenus rares, comme si tout le monde se passait le mot pour le laisser à l’écart de ce milieu fermé des institutions financières internationales.

Décidé à utiliser toutes les voies de recours possibles, Nyambal a aussi envoyé le 14 décembre une requête auprès du ministère américain de la justice pour l’ouverture d’une enquête criminelle sur toute l’affaire Geovic. Avec le soutien d’une ONG camerounaise, il projette également de déposer une plainte auprès de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples contre le FMI et sa directrice générale pour demander la rétrocession des fonds détournés et l’annulation du contrat minier de Geocam.
Que se passera-t-il si le Tribunal criminel spécial du Cameroun conclut dans quelques mois qu’il y a eu corruption dans l’affaire Geovic Mining Corp. ? Le FMI, qui se veut le champion de la bonne gouvernance, aura vraisemblablement du mal à continuer d’ignorer le problème. Et il pourra difficilement nier qu’il a couvert une vaste escroquerie, malgré des signes inquiétants et des alertes répétées, y compris de ses propres salariés.
Une autre question se pose : étant donné le manque de transparence, les faiblesses dans la supervision et le suivi du projet dont le FMI a fait preuve, on peut se demander si l’affaire Geovic est un cas isolé ou bien un cas… parmi beaucoup d’autres.

Fanny Pigeaud, Mediapart

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *