Le feuilleton judiciaire qui oppose le milliardaire Baba Ahmadou Danpullo aux filiales camerounaises de géants internationaux vient de connaître un nouveau coup de théâtre. Alors que MTN Cameroon et Chococam pensaient enfin récupérer leurs avoirs gelés depuis 29 mois, la justice camerounaise a prononcé une nouvelle saisie conservatoire, replongeant les protagonistes dans l’incertitude. Une bataille financière titanesque qui s’inscrit dans un conflit transcontinental et dont les ramifications dépassent largement les frontières nationales.
L’affaire Danpullo s’enlise dans un labyrinthe judiciaire sans précédent
Le 26 février dernier, la cour d’appel du Littoral semblait avoir tranché en ordonnant la main levée de la saisie des comptes de MTN Cameroon et Chococam logés à Citibank, Standard Chartered Bank et BICEC. Une bouffée d’oxygène pour ces entreprises dont les avoirs sont bloqués depuis septembre 2022. Mais l’espoir fut de courte durée : le même jour, sur requête de Bestinver, holding liée à Baba Danpullo, une nouvelle saisie conservatoire a été prononcée par la même juridiction.
Cette situation kafkaïenne maintient dans l’impasse des sommes colossales : près de 144 milliards de FCFA pour MTN, dont environ 120 milliards du compte de dépôt Mobile Money.Ce blocage prolongé n’est pas sans conséquence sur l’écosystème financier camerounais et sur la confiance des investisseurs.
Les origines sud-africaines d’un contentieux aux proportions démesurées
Pour comprendre l’ampleur de cette affaire, il faut remonter à sa genèse en Afrique du Sud. Le 19 juin 2020, les biens immobiliers de Danpullo y sont saisis et vendus par la First National Bank (FNB), qui invoque l’insolvabilité du milliardaire camerounais. Une version contestée par l’intéressé qui dénonce une « spoliation » et une « croisade raciste » contre son groupe Bestinver.
En riposte, Danpullo a obtenu d’un juge du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo la saisie des comptes bancaires de MTN, Broadband Telecom, Mobile Money Corporation et Chococam. La logique derrière cette stratégie ? Ces entreprises sont des filiales de Public Investment Corporate (PIC), elle-même actionnaire de FirstRand Bank.
Le montant réclamé par l’homme d’affaires camerounais donne le vertige : 5 200 milliards de FCFA d’actifs perdus en Afrique du Sud, auxquels s’ajoutent 21,6 milliards de loyers prétendument indûment perçus, 22,1 milliards de frais de recouvrements et des intérêts de 3,25%. Le total atteint aujourd’hui la somme astronomique de 275,5 milliards de FCFA.
Des manœuvres juridiques qui paralysent l’économie numérique
Cette saga judiciaire, qui dure depuis plus de deux ans, révèle les limites du système judiciaire face à des enjeux économiques d’une telle envergure. Le 9 juin 2023, le juge de référé avait enjoint plusieurs banques (Afriland First Bank, Ecobank, SCB et UBA) de transférer au greffier du TPI les fonds saisis. Une décision restée lettre morte, MTN ayant assigné la Caisse des Dépôts et Consignations (CDEC) à intervenir dans la procédure.
Le blocage des fonds de Mobile Money suscite particulièrement l’inquiétude des observateurs, car il impacte potentiellement des millions de Camerounais utilisateurs de ce service devenu essentiel dans l’économie numérique du pays. Cette situation inédite met en évidence les tensions entre justice, souveraineté économique et protection des investissements étrangers.
Alors que cette bataille juridico-financière est loin d’avoir livré tous ses rebondissements, elle pose une question fondamentale : jusqu’où les intérêts privés peuvent-ils influencer le fonctionnement des institutions judiciaires et financières d’un pays ? La réponse à cette interrogation déterminera non seulement l’issue de l’affaire Danpullo, mais également l’avenir de l’attractivité économique du Cameroun.