2 mars 1960 : massacres au Cameroun, génocide perpétré en pays bamiléké

Bamilékés massacre

A l’aube de l’indépendance, des milliers de Camerounais ont été massacrés sous les auspices de la « maffia françafric » de De Gaulle et Foccart, ches les Bamilikés, mais aussi dans d’autres régions du Cameroun.

Le 2 mars 1960, sous la direction de l’armée française, les troupes camerounaises rasent le bourg de Yogandima, massacrant près de 8.000 civils sans armes.

Mais ces effroyables massacres ne sont pas du tout un fait isolé, car depuis 10 ans, l’administration coloniale française fait face à la résistance de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) née dans les années 1940. Si l’UPC est présente sur tout le Cameroun, son emprise est très forte en pays Bamiléké. Ce qui est très marquant c’est leur cohésion dans leur refus de se plier au quadrillage, à la discipline de la machinerie coloniale, aux travaux forcés. Ce peuple occupé fait preuve d’une formidable ingéniosité qui se traduit même dans le langage de résistance, où le signifiant sert ainsi à un sens second d’ordre politique.

C’est un large front anti-impérialiste qui organise par exemple le boycott des élections. Ce sont de véritables grappes humaines, sans armes, mais hostiles, qui barrent le passage des camions de l’armée et s’agrippent aux voitures. Rarement insurrection a été aussi populaire. Leur rage est d’autant plus grande que les maquisards, opérant presque à mains nues – mais sur plusieurs fronts – remportent des succès ponctuels. Le colonisateur met tout en oeuvre pour mater ces « rebelles » et interdit l’UPC en 1955. Le haut-commissaire français Pierre Messmer, futur ministre de De Gaulle, a organisé des expéditions punitives sanglantes ainsi que l’assassinat de nombreux leaders de l’UPC, comme son secrétaire général et fondateur, Ruben Um Nyobé, dans son village natal le 13 septembre 1958.

À l’indépendance, le 1er janvier 1960, Jacques Foccart installe au Cameroun un gouvernement fantoche, présidé par son ami Ahmadou Ahidjo. Il s’agit d’un homme sûr, en faveur duquel le pouvoir colonial mettait depuis longtemps « des paquets de bulletins dans l’urne ». Le jour même de cette « indépendance fictive », le jeune État signe un accord d’assistance militaire avec la France. Deux conseillers militaires viennent encadrer le président Ahidjo : le colonel Noiret et le capitaine Leroy. L’ancien ministre des Armées Pierre Guillaumat confirme : « Foccart a joué un rôle déterminant dans cette affaire. Il a maté la révolte des Bamilékés avec Ahidjo et les services spéciaux ». Au passage, on notera la présentation ethnique d’une révolte politique…

Charles de Gaulle dépêche alors cinq bataillons d’infanterie, commandés par le général Max Briand, vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie, surnommé « le Viking », auxquels se rajoutent un escadron de blindés, ainsi qu’un escadron d’hélicoptères et de chasseurs bombardiers T26.
Un Bamiléké résidant alors à Dschang et qui était amené à circuler dans cette région montagneuse, où se cachaient les résistants de l’UPC, racontera :
« Les soldats français raflaient des Bamilékés en ville, puis les relâchaient en pleine campagne, en leur disant d’aller rejoindre leurs frères au maquis. Quelques jours plus tard, évidemment, ils les retrouvaient errants : cela faisaient des maquisards qu’ils capturaient sans mal ou tuaient sur place.

J’ai dit au Colonel Griblin, commandant du groupement de Dschang, « vivement que la paix revienne ». Il m’a répondu : « Bien sûr, vous, les Camerounais, vous serez contents. Mais, nous, les militaires français, qu’est-ce que nous allons devenir ? Heureusement qu’il y a le Congo » »
L’armée ne fait pas de quartier. Les cadavres sont exposés dans les villages, de même que les têtes des prisonniers qui ont été décapités. Entre février et mars 1960 cent cinquante-six villages bamilékés sont incendiés et rasés. Un bilan méticuleux des destructions de biens publics sera opéré : 116 classes, 3 hôpitaux, 46 dispensaires, 12 stations agricoles, 40 ponts seront détruits. Personne n’a recencé les logements privés détruits ni les récoltes incendiées. Personne n’a pu dénombrer les dizaines de milliers de civils qui ont été massacrés. On ne saura jamais.
Jeannette Kamtchueng témoigne, de ses souvenirs de petite fille :
« Le soir, les convois des militaires reviennent remplis des têtes qui sont déversées et exposées au carrefour qui deviendra le carrefour des maquisards, jusqu’à mon départ du Cameroun, en 1976, et même peut-être jusqu’à aujourd’hui. C’est au coeur de Bafoussam, à une trentaine de mètres de la maison de mes parents que tout cela est exposé. C’est aussi là que les exécutions ont lieu. Après une certaine pause, en raison de la famine et en l’absence de tout secours, les populations sont rentrées dans les royaumes sans maisons et sans cultures. D’autres sont allées dans les camps créés par l’occupant, sans eau, sans accès au bois, et terrorisées par les militaires.

A son retour, papa n’était qu’un témoin renvoyé par Dieu, pour témoigner de ce qu’est l’horreur coloniale, l’hitlérisme version tropicale. Il parlait tout seul, il se défendait, ne sortait pas. Son corps était présent, mais sa personne, son esprit, sa personnalité étaient restés dans les camps de la mort. Certains, surtout l’occupant lui-même, ont osé avancer le chiffre de 400 000 morts. Sur quelle période ? Les gens morts dans la région du Mungo sont-ils comptés ? Beaucoup sont morts là-bas. D’autres ont été tatoués et renvoyés à l’Ouest où les massacres et les entassements dans les camps faisaient rage. A-t-on compté ceux qui mourraient dans les camps de concentration, ceux des camps d’extermination (BBm, Yoko), tous les camps militaires de l’Ouest ? Et Bangou, qui était si redoutable, et dont on parlait tant ? Après la guerre, la région était presque vide ; en 1992, ma mère m’a dit que l’Ouest est presque aussi peuplé qu’avant l’extermination. Ma belle-mère a perdu ses 8 frères. Quelle est la période retenue ? La période des bombardements et du déversement du napalm ou la période de Terreur ? »

Rien que de parler de cette période à un Bamiléké, cela provoque l’effroi. De cette terrible répression, la presse française, complètement muselée, et aveuglée par la crise algérienne, ne dira mot. Il est impossible de trouver au Cameroun des documents sur ces massacres : le gouvernement d’Ahidjo, à la solde de la France, a soigneusement tout occulté. Et ce grand crime de la France prémédité, planifié, qu’elle a réussi à étouffer jusqu’aujourd’hui, a continué encore pendant plusieurs années : ce sont finalement peut-être 400.000 Bamilékés qui furent massacrés, ou peut-être plus…(« En fait de génocide, les Bamilékés en ont connu entre 1955 et 1965. Les chiffres tournent entre huit cent mille et un million de morts dans la région des Hauts-Plateaux et dans les autres villes telles Douala, Yaoundé, Sangmélima, Ebolowa, Nkongsamba » affirme Jacques Kago Lélé [1]). Les services secrets français ont même réussi à empoisonner le leader de l’UPC, Felix Moumié, le 2 octobre 1960, à Genève.
: « Le service Afrique du Sdece (services secrets français) enfante et instruit une filiale camerounaise, le Sédoc : sous la direction de Jean Fochivé, elle sera vite réputée pour sa sinistre « efficacité ». On y torture à tour de bras. Côté police, un redoutable professionnel français, Georges Conan, démontre ses talents – dont celui de multiplier les aveux et dénonciations.

Quelques exemples de tortures

La Balançoire : les patients, tous menottés les mains derrière le dos et entièrement nus, dans une pièce à peine éclairée, sont tout à tour attachés, la tête en bas, par les deux gros orteils, avec des fils de fer qu’on serre avec des tenailles, et les cuisses largement écartées. On imprime alors un long mouvement de balançoire, sur une trajectoire de 8 à 10 mètres. A chaque bout, un policier ou un militaire, muni de la longue chicotte rigide d’un mètre, frappe, d’abord les fesses, puis le ventre, visant spécialement les parties sexuelles, puis le visage, la bouche, les yeux. Le sang gicle jusque sur les murs et se répand de tous côtés. Si l’homme est évanoui, on le ranime avec un seau d’eau en plein visage. L’homme est mourant quand on le détache. Et l’on passe au suivant…

Vers trois heures du matin, un camion militaire emmène au cimetière les cadavres. Une équipe de prisonniers les enterre, nus et sanglants, dans un grand trou. Si un des malheureux respire encore, on l’enterre vivant…
Le Bac en ciment : les prisonniers, nus, sont enchaînés accroupis dans des bacs en ciment avec de l’eau glacée jusqu’aux narines, pendant des jours et des jours. Un système perfectionné de fils électriques permet de faire passer des décharges de courant dans l’eau des bacs. Un certain nombre de fois dans la nuit, un des geôliers, « pour s’amuser », met le contact. On entend alors des hurlements de damnés, qui glacent de terreur les habitants loin à la ronde. Les malheureux, dans leurs bacs de ciment, deviennent fous !…

« Oui j’affirme que cela se passe depuis des années, notamment au camp de torture et d’extermination de Manengouba (Nkongsamba) »
« Ils ont massacré de 300 à 400 000 personnes. Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race. Sagaies contre armes automatiques. Les Bamilékés n’avaient aucune chance. Les villages avaient été rasés, un peu comme Attila », témoigne le pilote d’hélicoptère Max Bardet. J’appris avec ces phrases le massacre littéralement inouï d’une population camerounaise au tournant des années soixante, dit encore François-Xavier Verschave. Je m’attachai à en savoir davantage. Ce ne fut pas facile, tant la terreur, là-bas, produit encore son effet. Ce n’est pas terminé. »

Le peuple bamiléké reste encore aujourd’hui très traumatisé. Quand la France reconnaîtra-t-elle sa culpabilité ?

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