Le mauvais classement du Cameroun attribué aux USA est un faux document

Un prétendu classement du Département D’État Américain (Ministère des affaires étrangères) aurait mis le Cameroun en seconde position des pays les plus dangereux au monde, tout juste derrière le Soudan du Sud.
Cette information d’un gout douteux a vite fait le tour des médias et réseaux sociaux, et a une fois de plus mise en exergue la trop grande légèreté que parfois des médias ont dans la production et gestion de l’information.

Le document
Probablement parti des réseaux sociaux, ce supposé classement aurait pu simplement passer inaperçu s’il n’avait été relayé par plusieurs médias considérés comme sérieux. D’abord le dimanche 07/02/2016 pendant l’émission de grand audimat, Canal Presse sur la chaine Canal 2 International présentée par Carole YEMELONG, un de ses invités M. Charles ATANGANA MANDA (Directeur de l’Observatoire des Médias et de l’Opinion Publique) a commenté cette actualité classant le Cameroun parmi les pays les plus dangereux du monde. Naturellement que ce soit un média sérieux et une personnalité sérieuse qui le disent, l’information a tôt fait d’être crédible.

La machine médiatique s’est donc mise en branle, quelques titres :
Cameroon-info : « Un rapport des Etats-Unis classe le Cameroun au rang du deuxième pays le plus dangereux du monde ».
237online.com : « Les Etats-Unis classe le Cameroun deuxième pays le plus dangereux du monde ».
Des dizaines de sites internet et pages Facebook diffusent l’information, c’est l’emballement ! Les Camerounais s’offusquent, certains demandent au Ministère des Relations Extérieurs de réagir, d’autres « sautent » le Ministère pour s’adresser directement au Département d’Etat Américain.
Une des réactions les plus fortes et promptes c’est celle de la Société Financière de Tourisme et de Loisirs (SOFITOUL) qui dans une lettre ouverte,réfute les indications du Département d’Etat extraits de la lettre ouverte (cameroon-info) : « SOFITOUL SA, Tour Operator leader en Afrique centrale appelle à relativiser cette information de nature à saper les efforts du gouvernement dans le développement du tourisme et de la promotion de la destination Cameroun », « La position du Cameroun suscite des interrogations. Non seulement c’est la première fois que le Cameroun est cité dans cette liste des pays dangereux à cause du terrorisme, mais le deuxième rang parmi tous les pays d’Asie, du Proche et du Moyen Orient… », à en croire la même source, le journaliste spécialiste des questions sécuritaires Eric Benjamin Lamere a déclaré : « Je pense que le Cameroun à travers ce classement est mal récompensé pour les efforts qu’il fournit pour enrayer une menace qui lui est imposée ». Donc en une phrase, TOUT LE MONDE EST FACHE !!! Les « Yankees » doivent revoir leur classement !

MAIS, IL YA PAS DE CLASSEMENT… :
Une analyse rapide du supposé document permet de constater des anomalies.
Sur la forme, la liste des pays est écrite en français. Donc le Département d’Etat Américain demande à ses ressortissants de ne pas aller dans un pays et le dis dans la langue de Moliere plutôt que celle de William shakespear, c’est plutôt original !
Aucun des sites ou autres médias n’a clairement indiqué le lien du site où le rapport a été publié,aucun document de référence, juste une page Word ou PDF saisi sans aucun sceau.
Sur le fond, un tour sur le site du Département d’Etat Américain (travel.state.gov) indique clairement que la dernière mise à jour des informations de sécurités pour les voyageurs en destination du Cameroun date du22/12/2015 et en gros déconseille aux voyageurs de se rendre dans les régions du Nord et de l’Extrême Nord du pays exposé aux actes terroristes, tout en rappelant que d’autres formes de criminalité (vols, intimidations etc.) sont présentent dans les autres régions du pays particulièrement à Douala et Yaoundé.
Donc question donc question : d’où vient ce classement mystérieux voir mystique ?
En poussant un peu plus loin la réflexion, l’on s’aperçoit rapidement que le terme de « pays dangereux » est un terme vide. Les classements sur la sureté sont réalisés sur la base de 2 grands ensembles : La menace terroriste et le taux de criminalité.
L’on remarque aussi que les états n’établissent pas des classements en général, mais en fonctions des câbles diplomatiques dressent de façon spécifique les zones du globe où il est conseillé de se rendre ou pas. 237online.com C’est dans la même logique du Département d’État Américain, que le Quai d’Orsay (Ministère des Affaires Étrangères Français) indique sur son site (diplomatie.gouv.fr) :
« Ces attaques rappellent le risque très fort de violences terroristes et d’enlèvements dans la zone couvrant la région de l’Extrême-Nord et le département du Mayo Louti (région Nord), où les déplacements restent formellement déconseillés. Il est également fortement déconseillé de se rendre à moins de 30 km des frontières est et ouest du Cameroun. »
En toute cohérences donc avec le rapport du département d’État.
Habituellement ce sont des organisations qui établissement des classements sur les situations sécuritaires(il en va de même pour la corruption, droit de l’Homme etc.).
Le Classement qui fait office de référence en la matière terrorisme et criminalité est celui de l’Institute for Economics and Peace (IEP)qui publie chaque année un rapport sur les pays frappés par le terrorisme et établis un classement. Le dernier rapport (economicsandpeace.org) date de 2015 et le Cameroun est classé 20e avec une note de 6.466. Le Nigéria, premier pays africain occupe la 3e position, la Lybie la 9e position, la République Démocratique du Congo la 19e. Le Togo et la Guinée Équatoriale sont parmi les mieux classés en occupant Ex aequola 124e place.

Post Scriptum :
S’il serait beaucoup trop facile de faire un procès à toute la presse, il n’en demeure pas moins que cet exemple (parmi tant d’autres) montre à suffisance que la vitesse prime de plus en plus sur la véracité. C’est la course au scoop, parfois à tout prix. Internet et les réseaux sociaux sont devenus une source primitive de désinformations et de propagations rumeurs qu’il serait bon d’étudier avec attention. Nul ne peut évaluer l’impact que cette désinformation, notamment sur le moral des investisseurs. Les questions de sécurités doivent être traitées avec le plus grand recul et la plus grande vigilance. La relation de confiance entre le public et les médias est déjà fragilisée par la presse à gage, si le public ne peut plus faire confiance même en des médias plus sérieux on assistera à une dangereuse spirale. Les journalistes sont les historiens du présent, l’historien rapporte les faits, il ne les créait pas, car nul n’aimerais apprendre que son histoire est biaisé.

William DEFOTSO: correspondance particulière pour Camer Senat

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